Chroniques de l’AstrOlabe

Les Chroniques de l’AstrOlabe, révélées uniquement aux contributeur.rices de la campagne de financement du projet —vous—, seront chaque mois constituées de deux volets : le premier décrira, sous forme de vidéo, de photos, de texte ou de pièce audio (selon l’humeur et les possibilités techniques), les avancées de mon travail autour de la création de l’exposition AstrOlabe. Le second vous dévoilera, chapitre après chapitre, l’histoire romancée des  Portes du Temps.

 


CHRONIQUES #1 (17 FEVRIER 2025)

PROLOGUE

*

     L’enfant emprunte la côte qui mène au promontoire. Courbée sous le poids d’un gros sac de toile, elle serre contre ses flancs deux masses informes. Sans les bobines de fil qui s’en échappent, les morceaux d’étoffe grossièrement pliés passeraient pour du linge de maison ou pire, pour de vulgaires chiffons. Parvenue au sommet, la jeune fille étale les pièces de tissu sur l’herbe et entreprend de les tendre sur des baguettes de bois. Cela fait, elle lance dans la brise le premier cerf-volant, le blanc, qui prend les courants et s’envole. Elle donne du large, ancre la ligne sous une roche puis se déplace de dix mètres et lâche l’autre cerf-volant, le noir, qui monte dans l’éther en frissonnant. Le voyant danser à trente mètres dans les airs, l’enfant cale la deuxième bride et, protégeant ses yeux du plat de la main, regarde le losange clair et le cercle sombre, leurs longues queues palpitantes, jouer devant le soleil leur ballet de serpents du ciel.

     Elle retourne vers le cabas qu’elle avait posé là et en extrait une boîte de fer blanc qui fait la taille d’un gros livre, comme ceux à tranche marron et à lettres d’or qui vont par vingt dans les bibliothèques d’adultes et que personne ne lit jamais. Elle jette un regard alentour. Personne ne vient. Elle soulève lentement le couvercle.

     Peut-être faut-il d’abord vous raconter comment cette cassette carrée, lourde comme une tuile, marquée d’une estampille aussi énigmatique que fascinante, s’est retrouvée entre les mains de cette enfant.

     Le village, bâti à flanc de coteau, s’étire le long d’une rue unique depuis l’église, en bas, à la grande ferme des Ducs, là-haut. Les façades de pierre s’y succèdent dans la pente, cachent derrière les volets mi-clos des bouches sombres qui exhalent des odeurs de cave, de pomme, de savon, de viande bouillie. Tout en bas, plus bas que l’église et que l’épicerie, plus bas encore que le verger, court la rivière. C’est là que l’enfant l’a trouvé. En amont du lavoir, là où les lessives troublent l’eau, d’où l’on entend de loin, étouffé par les bosquets, le chant des lavandières. Les remous avaient chassé l’objet contre la berge, l’enfonçant jusqu’au couvercle dans la vase, l’entourant une fine écume qui le dissimulait presque entier et eut pu le faire passer pour une pierre de taille. Mais l’enfant, habituée à ces lieux et à toute chose qui y vivait, elle qui grandissait depuis son plus jeune âge les pieds dans le bouillonnement des ruisseaux, avait immédiatement distingué l’étrangeté de sa trouvaille. Sans hésiter, elle était descendue dans l’eau.

     Jusqu’à ce matin où les cerfs-volants flottent au-dessus des toits rouges, la boîte avait dormi, close, dans le creux d’un vieil érable. L’enfant avait besoin d’outils pour en forcer la serrure. Cela devait prendre quelque temps. Attendre d’être seule. Attendre, encore, bon sang ! Mais la jeune fille avait la certitude, Dieu sait comment, qu’elle devait absolument être seule pour l’ouvrir. Maintenant, elle l’était, enfin.

     Les yeux plissés, les mains tremblant d’excitation, elle bascule le couvercle dont le fer est poinçonné de deux ellipses, graduées et superposées. Un nuage masque soudain le soleil, lui fait lever la tête. Les deux cerfs-volants, dressés côte à côte à son aplomb, vibrent d’une énergie bizarre et glissent lentement l’un vers l’autre. L’enfant fronce les sourcils. Le cercle de toile noire se place exactement dans l’axe du losange blanc. Cela fait comme un œil terrifiant. Tout paraît s’obscurcir imperceptiblement. Mais la sensation ne dure qu’un instant. Le froid du métal sur ses cuisses rappelle l’enfant à la mystérieuse boîte, grande ouverte entre ses genoux. Elle penche le front, écarquille les yeux. Ce qu’elle découvre à l’intérieur la laisse d’abord profondément perplexe. Puis, lentement, prenant garde à ne pas endommager la chose, elle extrait de son écrin ce qui semble être un très ancien instrument de mesure.

           À suivre…

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